5/11/07

Randiana: Commémoration de l’abolition de l’esclavage: Aimé Césaire





Au-delà de la vérité que nous devons encore à l’histoire, le « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire semble avoir été écrit avec une plume trempée dans le sang. Extrait d’une intensité à couper le souffle.

Debout et libre:

[…] Non, nous n’avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana avec huit cent chameaux ni docteurs à Tombouctou Askia le Grand étant roi, ni architectes de Djenné, ni Mahdis, ni guerriers. Nous ne sentons pas sous l’aisselle la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance. Et puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle, des cireurs de chaussures sans envergure, mettons les choses au mieux, d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte...
Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la nègrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous, et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.
[...]
J’entends de la cale monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer... les abois d’une femme en gésine... des raclement d’ongles cherchant des gorges... des ricanements de fouet... des farfouillis de vermine parmi des lassitudes...
[...]

Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre
gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage la terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre
ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’oeil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni un cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience.
[...]
et voici au bout de ce petit matin ma prière virile
que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés
sur cette ville que je prophétise, belle,
donnez-moi la foi du sauvage du sorcier
donnez à mes mains puissance de modeler
donner à mon âme la trempe de m’épée
je ne me dérobe point. Faites de ma tête une tête de proue
et de moi-même mon coeur, ne faites ni un père, ni un frère,
ni un fils, mais le père, mais le frère, mais le fils,
ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.

Faites-moi rebelle à toute vanité, mais docile à son génie
comme le poing à l’allongée du bras !

Faites-moi commissaire de son ressentiment
faites-moi dépositaire de son sang
faites de moi un homme de terminaison
faites de moi un homme d’initiation
faites de moi un homme de recueillement
mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement

faites de moi l’exécuteur de ces oeuvres hautes
voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme-

Mais les faisant, mon coeur, préservez-moi de toute haine
ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine
car pour me cantonner en cette unique race
vous savez pourtant mon amour tyrannique
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle

la sommer libre enfin
de produire de son intimité close
la succulence des fruits.


Et voici soudain que force et vie m’assaillent comme un taureau [...].



Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. [...]
car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie
que nous n’avons rien à faire au monde que nous parasitons le monde
qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer
et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’à fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.


La négraille aux senteurs d’oignons frit retrouve dans son sang répandu le goût amer de la liberté

Et elle est debout la négraille

la négraille assise
inattendu ment debout
debout dans la cale
debout dans les cabines
debout sur le pont
debout dans le vent
debout sous le soleil
debout dans le sang

debout
et
libre

debout et non point pauvre folle dans sa liberté et son dénuement maritimes girant en la dérive parfaite
et la voici :
plus inattendument debout
debout dans les cordages
debout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles

debout
et
libre./

5 comments:

  1. Excellent post, (lova feat Randiana ?)merci pour ce joli extrait ... soutenons Maryse condé pour son combat ;)

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  2. Salut Hjk,
    Entierement au credit de ma soeurette, l'idee du billet. Mais comme elle refuse d'ouvrir compte blogger ...:D.

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  3. Par notre manque de vigilance, nous risquons de servir les desseins des ennemis de notre propre liberté. Jour après jour ils rongent nos espace de liberté en échange de fausse promesse de « sécurité » qui finalement se résume à l'alimentaire. Autrement dit, qui serait d'accord d'échanger sa « liberté contre la promesse d'une assiette de riz quotidienne ?»
    >debout et libre
    Merci pour cette belle ode à la liberté.

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  4. on peut juste esperer que nous aurons de moins en moins a choisir entre ces deux droits fondemntaux :(

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  5. Anonymous8:33 AM

    slt c mumu! g regardé un reportage sur l'esclavage avant hier 12 mai et g été très en colère de voir l'ingratitude de la France à l'égard de ts ceux ki l'ont servi ou ki st morts pr eux,Randiana une fois de plus tu définis bien et avec des mots justes cette douleur traversée par nos pairs bisous

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